Livre. Chouki El Hamel déterre le passé esclavagiste du Maroc

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Dans son livre « Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de l’islam » (Editions La Croisée des Chemins), Chouki El Hamel revisite l’histoire de l’esclavage au Maroc du seizième au début du vingtième siècle. Une approche pour briser le silence autour d’une époque qui plaçait les Noirs en dehors de la communauté. Extraits.

«Au cours de ces quatre siècles, des Noirs ont migré de manière volontaire, mais la plupart d’entre eux furent victimes de la traite des esclaves à travers le Sahara vers le Maroc. Bien que la diaspora africaine des Amériques soit l’un des sujets essentiels de la recherche historique contemporaine concernant la diaspora noire, un aspect faisant l’objet de moins de recherches mais non moins important est celui de la diaspora interne à l’Afrique. L’islamisation de l’Afrique du Nord a débouché sur une énorme augmentation du commerce, en particulier dans la région trans-saharienne».

Paru en 2013 aux prestigieuses éditions de Cambridge (Grande Bretagne), l’ouvrage de Chouki El Hamel vient d’être réédité par l’édition « La croisée des chemins ». Ecrit initialement en anglais, ce livre a été traduit par Anne-Marie Teeuwissen. Un livre riche en informations puisqu’il propose une analyse alternative de l’esclavage en Islam, et puise dans plusieurs documents et archives marocaines et arabes pour revisiter la « racialisation » de l’esclavage, surtout pendant le règne de Moulay Ismail, ainsi que l’histoire politique de « l’armée noire ».

«Les archives nous informent que l’asservissement des Noirs par Moulay Ismail déclencha une discorde “nationale” ; peu de détails sont cependant fournis. Les informations concernant les personnes asservies sont très maigres. De nombreux Noirs refusèrent d’être ré-asservis, et cherchèrent de l’aide et refuge auprès de diverses communautés. Les Ḥaraṭin, conscients de leur identité sociale, refusèrent d’accepter le statut servile qui leur était attribué, et de se soumettre à l’ordre du sultan».

Il poursuit: «Ibn Zaydan (1873-1946), historien de la dynastie ‘alaouite, présente un récit précis du déploiement de l’armée noire, allant de 100 à 2.000 soldats selon les exigences du poste, dans soixante-seize garnisons et postes au Maroc, et déclare que les soldats étaient souvent déployés avec leurs familles».

 

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Pour ce qui est de l’esclavage en Islam, l’auteur pense qu’aucun verset du coran n’appelle à accepter l’esclavage en tant que pratique sociale normale. Selon El Hamel, le Coran ne parle pas du traitement réservé aux esclaves, ce qui indique qu’il ne tolère ni son existence, ni sa continuité. Il fournit cependant des recommandations pour les personnes ayant acquis des esclaves dans le passé. Des recommandations très claires pour les libérer.

«Les versets coraniques concernant l’esclavage demandent à être examinés avec attention. Le Coran utilise généralement les termes suivants: fata (pl. fitya), au sens littéral «garçon» ; fatat (pl. fatayat), au sens littéral «fille» ; raqaba (pl. riqab) signifiant «cou» ; et l’expression ma malakat aymanukum, qui veut dire «ce que vos mains droites possèdent». Ces termes désignent les esclaves comme propriété personnelle …»

« … Le Coran évite délibérément de désigner une personne tenue en esclavage par le terme de ‘abd (pl. ‘abid)et pour le genre féminin ama (pl. ima’), au sens littéral « esclave», parce que l’usage des mots ‘abd et ama dans le Coran est réservé pour désigner toutes les créatures de Dieu – Ses serviteurs et adorateurs, obéissant à Lui seul – d’où l’utilisation d’une expression aussi indirecte que « ce que leur main droite possède ».

L’auteur évoque également les références à l’esclavage dans la musique gnawa.

«De toutes les traditions musicales et mystiques que l’on trouve au Maroc, les racines de la musique Gnawa sont probablement les plus obscures… Bien qu’ils aient adopté une forme d’identification sociale arabo-amazigho-islamique, leur musique représente un syncrétisme fascinant, et un mélange de résistance à l’esclavage, aux rigueurs de la migration forcée, et aux défis de l’intégration à leur nouvel environnement social ».

 

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Pour rappel, Chouki El Hamel est professeur agrégé d’histoire, à l’université d’Arizona aux États- Unis. Il a obtenu son doctorat de l’université de la Sorbonne (Paris, France). Sa formation en France au Centre de Recherches Africaines était dans l’histoire de l’Afrique pré-coloniale et les sociétés islamiques. Il a par ailleurs enseigné l’histoire de l’Afrique et les sociétés islamiques à l’université nord-américaine « Duke University ». Chouki El Hamel est auteur de deux livres majeurs et de nombreux articles scientifiques. Son livre le plus récent est Black Morocco: A History of Slavery, Race, and Islam (Cambridge University Press, 2013).

 « Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de l’islam », Editions La Croisée des Chemins, 140 DH.

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