La chronique d’Abou Hafs. Patrimoine islamique et terrorisme, quelle responsabilité ?

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La problématique du terrorisme et du patrimoine islamique, malgré tout son caractère tabou et sa sensibilité, ne peut être ignorée ou évitée dans le débat public. Au contraire, elle doit être prise avec beaucoup de sérieux et de profondeur.

Par Mohamed Abdelouahab Rafiqui.

Un certain nombre de spécialistes du dossier du terrorisme islamiste estiment que la situation économique désastreuse et le contexte social fragile jouent un rôle majeur dans la production du terrorisme, tandis que d’autres estiment que la Grande-Bretagne, l’Amérique et les événements politiques depuis la déclaration Balfour 1917 ont un rôle dans la création de la situation terroriste. 

Je ne nie pas que toutes ces choses combinées contiennent des éléments utiles pour une explication partielle du phénomène terroriste, mais ce serait une erreur de laisser de côté l’élément de structure de la pensée qui produit une identité fermée. Une identité qui devient plus tard fatale. Surtout si l’on se souvient de ce que Samuel Huntington avait correctement observé: la plupart de ceux qui appartiennent aux mouvements fondamentalistes dans toutes les religions ont des diplômes universitaires et appartiennent aux classes moyennes.

La situation sociale et économique n’aide pas beaucoup à expliquer le phénomène. Ces analystes ne mentionnent pas les dizaines de pays pauvres qui ne connaissent pas une explosion du phénomène terroriste, et ils passent également à côté du grand nombre de ceux qui ont rejoint Daech en provenance des pays les plus riches du monde. Plus de vingt mille combattants qui ont rejoint Daech sont originaires d’Europe, des centaines d’entre eux des pays scandinaves, les pays les plus riches de la Terre.
Je reviens à poser la question : les cheikhs et les prédicateurs admettent-ils qu’il y a un problème dans l’interprétation religieuse traditionnelle ? 

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En fait, ils ne l’admettent pas du tout, ils ne voient pas que la jurisprudence islamique traditionnelle discute encore à ce jour des lois de l’esclavage, et de la façon dont nous traitons « ahl aldimma » (les dhimmis, ndlr.), et le jihad des infidèles pour répandre l’islam. Ils ne voient pas les textes intolérants qui se comptent par centaines, sinon par milliers, et les nombreux chapitres d’expiation dans les livres de jurisprudence, et toute cette longue liste d’interprétations inacceptables liées aux droits des femmes, et les chapitres jurisprudentiels qui perpétuent la traditionnelle vision du monde : Dar Harb (Maison de la guerre, ndrl) et Dar Islam (Maison de l’islam, ndrl). Ils ne voient pas non plus les interprétations violentes des versets du jihad. Et bien-sûr ils ne voient pas que tout cela est lié au patrimoine islamique, et ne le considèrent pas comme responsable de la reproduction de la violence actuelle.

Ces cheikhs parlent sur un ton cosmétique, et accusent les djihadistes d’être kharijites et d’être ignorants, afin de perpétuer une image idéale de ce patrimoine.

Soyons clairs, Daech est une secte sunnite. Le groupe a émergé d’un ventre sunnite et sa littérature est sunnite. Ceux qui l’ont rejoint ont grandi dans un pays sunnite.Tout ce qui compte, c’est que Daech comme tous les groupes islamiques sélectionne au sein de l’héritage sunnite ce qui était cohérent avec ses objectifs, ses intérêts et ses motivations psychologiques.

Ce qui est malheureux, c’est qu’échapper à la pratique de l’autocritique nous coûte énormément. Force est de reconnaître qu’une partie de notre héritage jurisprudentiel et historique porte les empreintes de l’hostilité envers les autres, et qu’il a du mal à accepter et faire face à l’autre avis.

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Tous les comportements des mouvements terroristes ont des empreintes patrimoniales évidentes, de l’asservissement des femmes yézidies et chrétiennes à la mise en place de l’État islamique, toute la brutalité et la barbarie dont ils font preuve ont leur ancrage dans l’héritage, que ce soit en termes de théorisation ou de termes de pratique historique, tous ceux qui le lancent aujourd’hui, avec l’extrémisme et l’ignorance, ils ne diffèrent pas de Daech dans la théorisation, ils ne diffèrent que dans le temps et la méthode.

Le danger de cette perception est dû à deux choses :

Premièrement : elles glorifie le patrimoine aux yeux des gens et des jeunes de sorte que les ces derniers adoptent plus tard l’ensemble du système du patrimoine sans discrimination, ce n’est un secret pour personne que des centaines de milliers de jeunes aujourd’hui croient en la nécessité de revenir à l’ère de l’esclavage et de la servitude, ils rêvent de capturer les filles blondes d’Allemagne, de Suède et de Nouvelle-Zélande, ils croient en la reformation d’un autre pays différent de celui-ci. Ils croient en toutes les règles traditionnelles concernant les chrétiens et les juifs et la nécessité de les humilier comme indiqué dans les livres de jurisprudence. Ils croient en la nécessité de l’invasion et qu’il viendra un jour où les musulmans trouveront leur capacité militaire à déclarer la guerre à « tous les infidèles ».

La seconde, et elle se fonde sur la première: lorsque les cheikhs rencontrent l’obstacle de la réalité dans une question jurisprudentielle aujourd’hui inacceptable, ils n’abordent pas le problème du conflit de bien des matières patrimoniales avec l’ère moderne, avec un appel explicite à un renouvellement complet du système jurisprudentiel, mais ils sont plutôt divisés en deux groupes. Un groupe estime que ces décisions sont valables au retour de l’État islamique, et un autre groupe dit que l’intérêt nous oblige à ne pas prendre ces décisions aujourd’hui. Dans les deux cas, le statut du patrimoine islamique dans l’esprit collectif ne bouge pas, surtout avec le ton dominant de la glorification, et l’absence de tout comportement critique, ou de lectures internes qui placent le patrimoine dans l’équilibre de la recherche objective et de la critique systématique, qui a produit une génération d’esprits glorifiant totalement le patrimoine. A tel point que  les textes patrimoniaux deviennent un critère de jugement de la jurisprudence contemporaine, comme si nos corps vivaient au XXIe siècle et nos esprits au VIIe siècle après JC.

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