Interview. Mehdi Qotbi: «Aujourd’hui, les Marocains sont fiers d’aller au musée»

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Mehdi Qotbi dans son appartement casablancais. Photo Christian Mamoun pour L'Officiel Hommes Maroc.

Artiste-peintre, influenceur reconnu et lobbyiste redoutable, Mehdi Qotbi, l’homme aux multiples facettes, se livre sans détours dans cette interview. Tout y passe: sa vie, ses amours, son parcours, ses mission, ses passions…
 
Pas de chichi avec Qotbi ! L’artiste nous reçoit dans son appartement casablancais, en gandoura et… pieds nus. Affable et d’une simplicité désarmante, l’homme du peuple, comme il aime à le rappeler, est constamment sollicité. Dans ce bel appartement où se mêlent meubles d’époque et objets d’artisanat raffinés, quelques toiles entamées attendent patiemment la main du peintre. Un véritable musée des souvenirs où l’on découvre à travers de nombreuses photos un homme jovial et toujours souriant posant avec les plus grands de ce monde : le roi Felipe d’Espagne, le président François Mitterrand, les Chirac, les Sarkozy, le roi de Jordanie… Ses photos préférées ? Celles où il est en compagnie de feu Hassan II à qui il voue une grande admiration et avec le roi Mohammed VI avec qui il partage une certaine complicité. Depuis qu’il a été nommé par le souverain à la tête de la Fondation nationale des musées en 2011, l’artiste peintre, n’a cessé depuis de se démener pour remettre à niveau les musées nationaux. Interview.
 
Vous avez un parcours singulier, voire extraordinaire, qui vous a permis de collectionner les décorations…
Oui et quand récemment j’ai été promu par le roi d’Espagne, je me disais  que même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais imaginé avoir autant de distinctions, ni être décoré par des rois, par des présidents de la République, par des chefs d’état. Et le rêve continue aujourd’hui.
 
Parmi toutes ces distinctions, laquelle a votre préférence?
L’officier de l’Ordre du Trône remise par Sa Majesté, sans conteste. Être commandeur de la Légion d’honneur, c’est aussi une grande fierté. Tout comme être commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, commandeur du Mérite civil espagnol et commandeur de l’Ordre de la République de Hongrie.
 
Vous êtes très sollicité et semblez souvent débordé. Comment se déroule généralement votre journée ?
Mes journées sont toujours très remplies, mais je ne me plains pas, car je suis un passionné qui a toujours envie de transmettre ce qu’il aime et le motive. M’occuper des musées est une lourde responsabilité, mais c’est aussi une mission extraordinaire qui m’a été confiée par Sa Majesté.
 
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Vous êtes sur plusieurs fronts, à la fois artiste, diplomate, lobbyiste… En résumé, on dit de vous que vous êtes un diplomate culturel, comment vous définiriez-vous?
Je dirais « facilitateur » ! J’aime beaucoup ce mot, car j’aime mettre les gens que je connais les uns avec les autres. En fin de compte, j’aime partager, surtout l’amitié. Mais je préfère aussi le mot « passeur », car je crois profondément à tout ce qui peut unir les êtres humains. Je crois beaucoup à la force et à la puissance de la culture comme moyen de mieux se connaître. Ce qui nous manque aujourd’hui dans le monde, c’est échanger. Tous les langages sont devenus inaudibles. Quand on voit ces guerres en Syrie, en Libye et ailleurs, c’est consternant. S’entretuer et parfois tuer des gens qui n’ont jamais rien demandé, c’est d’une stupidité affligeante. Heureusement, il y a la culture pour faire prendre conscience aux gens qu’il existe un langage qui nous unit, qui peut mieux nous faire comprendre la richesse de l’autre, car les conflits naissent souvent d’un manque de connaissance de l’autre.
 
Votre mot d’ordre serait alors « Faites de l’art, pas la guerre » ?
Je dirais “ Mettez la culture en avant partout ”, car la culture est un langage magnifique qu’il faut absolument mettre en évidence dans tout ce que vous faites, dans tous vos actes.
 
Revenons à votre fondation qui gère 14 musées. Où en est la remise à niveau des musées au Maroc ?
Nous avons rénové exactement cinq musées et nous en sommes aux finitions pour celui de Dar Jamai de Meknès. Nous entamerons par la suite la rénovation du musée Al Batha à Fès qui sera consacré à l’art de l’islam. Nous allons par ailleurs entreprendre un travail sur le Musée de la mémoire juive du Maroc de concert avec la communauté juive et la wilaya de Fès. Ce sera un beau message de paix et de tolérance adressé au monde.
 
Il reste encore beaucoup à faire ?
Je pense que par respect envers les Marocains, mais aussi par respect envers nos racines et notre patrimoine, nous nous devions de commencer d’abord par rénover les musées pour les rendre accueillants. Nous devions offrir aux gens, mais aussi à nos invités étrangers, des espaces qui mettent en valeur notre patrimoine et qui racontent notre belle histoire. C’est l’un des principaux objectifs de la Fondation. Quand on visite aujourd’hui les musées rénovés, c’est un plaisir et un vrai bonheur de s’y promener. 
 
En rénovant les musées, l’objectif était d’y attirer les Marocains. Y êtes-vous arrivé ?
On est sur la bonne voie. On a instauré aujourd’hui la gratuité le vendredi pour tous, la gratuité pour les étudiants le mercredi et le reste du temps, le tarif reste symbolique. Par exemple, à Dar Si Saïd à Marrakech, devenu le Musée national du tissage et du tapis, tous les gens du quartier bénéficient de l’entrée gratuite. On a même dépassé les quinze mille visiteurs depuis deux mois. C’est énorme. Donc cela veut dire qu’aujourd’hui les Marocains sont fiers d’aller au musée. Le Marocain, donnez-lui de la culture, il est heureux… Il n’y a qu’à voir l’engouement des jeunes pour les festivals de musique qui ont lieu en ce moment. Il faut donc multiplier les activités culturelles. 
 
Donc l’art se porte bien au Maroc ?
Il est sur la bonne voie. Il ne faut jamais oublier que tout ce que je fais, c’est grâce à Sa Majesté. C’est lui l’architecte, je ne suis que l’ouvrier. Le roi m’a nommé le 19 décembre 2011 à la tête de cette fondation qui a réellement démarré ses activités en septembre 2012. C’est aussi un geste fort de la part de notre souverain car ma nomination a été la première après l’adoption de la nouvelle constitution.
 
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Et depuis, quel chemin ! On a eu la chance de voir de belles collections défiler au Maroc : Giacometti, Picasso, Matisse, Braque…
Et on va en voir encore : les impressionnistes en avril, mais aussi une très belle biennale consacrée aux femmes. En octobre, nous avons prévu une belle exposition sur trois femmes aux itinéraires exceptionnels: Chaïbia, Fatema Hassan et Radia Bent Lhoucine. Trois femmes de la ruralité, de la spontanéité, et le faire montrer aux Marocains, c’est très important parce que c’est un langage qui leur parle.
 
Autre volet de la Fondation, la visibilité de l’art marocain à l’étranger. Là aussi, pari gagné ?
Oui, nous avons prêté des œuvres au Musée international du baroque au Mexique, au MET de New York, au Louvre à Paris et au musée Pouchkine à Moscou… En ce moment, nous préparons une saison marocaine à Madrid pour 2020, à l’instar de ce qui s’est fait à Paris. Et en 2021, si tout se passe bien, une grande exposition à Pékin. Ces manifestations ont beaucoup de succès, à l’instar de l’exposition présentée lors de la Semaine culturelle du Maroc à Abu Dhabi dans ses deux éditions et celle du musée Pouchkine inaugurée par Sa Majesté en mars 2016 qui a été programmée pour un mois et a finalement été prolongée de trois mois à la demande des Russes. Je dirais aujourd’hui que la diplomatie culturelle est en marche.
 
Ces dernières années, investir dans l’art est devenu très tendance. Le phénomène a pris une telle ampleur que certains ont parlé de bulle spéculative. Que pensez-vous de ce phénomène ?
On peut dire qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de collections qui ont été constituées, ce qui est très positif. Un mouvement a été initié pour encourager et soutenir les artistes, et cela grâce à Sa Majesté et à sa clairvoyance. On ne peut pas se plaindre aujourd’hui de voir des artistes reconnus vivre convenablement de leur art, car ils ont des collectionneurs qui les suivent.

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