Histoire. Aïcha Kandicha, la comtesse maudite

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Pharmacienne de profession, passionnée d’histoire et guide bénévole aux Journées du Patrimoine de Casablanca depuis sept ans, Chama Khalil nous fait découvrir sa ville natale à travers ses histoires et ses légendes. Après la chronique sur les Saints patrons de la ville blanche, voici pour les plus curieux un épisode bonus: l’histoire d’Aïcha, la comtesse maudite.

Connaissez-vous la légende de la célèbre -mais non moins terrifiante- Aïcha Kandicha ?

Nous avons tous grandi avec ces effrayantes histoires que contaient volontiers parents et nourrices aux plus espiègles et turbulents d’entre nous, n’hésitant pas à troquer la terreur suscitée contre une obéissance dévouée.

L’imaginaire populaire marocain en est d’ailleurs très fertile; il regorge de contes et de légendes qui peuplent souvent les veillées familiales. La plus remarquable d’entre elles est sans nul doute celle de la fameuse Aïcha Kandicha.

Personnage protéiforme, à la fois ambassadrice des djins, diablesse mi-humaine mi-démone, femme adultère aux pieds de chamelle ou vaillante cheftaine de la résistance, Aïcha, avec ses compères Bou3ou, Boukhencha et Ba l’Ghoul (pour ne citer qu’eux!), a pendant longtemps hanté nos cauchemars d’enfants.

On dit que, Celle dont il ne faut pas prononcer le nom, au risque de la voir apparaître, habiterait rivières et lieux solitaires, à la recherche d’hommes célibataires à dévorer. L’attraction qu’elle dégage serait si puissante qu’elle rendrait fou ceux qui la croiseraient et que nul mâle ne pourrait lui résister.

Qui est-elle? A-t-elle réellement existé ou s’agit-il d’un énième mythe issu de l’imaginaire collectif?

Voici la légende d’une comtesse maudite par l’Histoire dont la simple évocation fait encore frissonner les plus vaillants d’entre nous.

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Établir le véritable mythe de Miss Kandicha est une tâche bien difficile, tant celui-ci diverge en une pléthore de versions qui varient d’une région à l’autre.

Néanmoins, et au-delà des différentes fabulations colportées, tous les récits s’accordent: la souveraine du panthéon démoniaque marocain est décrite comme une femme d’une envoûtante beauté, à la peau blanche et aux longs cheveux noirs. Elle aurait vécu au XVIe siècle, à Mazagan, à l’époque de l’occupation portugaise.

Une première version de sa légende veut qu’elle eût été une comtesse lusitanienne. Le nom de Kandicha serait d’ailleurs une déformation faite par les autochtones du mot «condesa», comtesse en portugais. Capturée par des corsaires marocains, elle aurait été vendue à un notable, dont elle tomba éperdument amoureuse. Elle l’aurait épousé selon la tradition coranique et aurait pris pour nom musulman Aïcha, faisant ainsi d’elle Aïcha la Condesa. Audacieuse qu’elle était, elle se promenait sans voile dans la médina, vêtue d’une simple robe blanche, forçant l’admiration des hommes et la jalousie des femmes. On raconte que son attrait était si puissant qu’elle rendait fou tous ceux qui la croisaient. D’où sa légende.

Une seconde version fait d’Aïcha une femme marocaine, issue d’une tribu amazigh de la région de Mazagan. Ayant perdu son mari, tué dans un affrontement avec les Portugais qui occupaient la ville, elle se serait juré de le venger. Afin de mener à bien sa vendetta, elle se fit passer pour une fille de joie, séduisait les officiers ennemis et les égorgeait en pleine forêt. Craignant que sa bravoure et son héroïsme ne servent d’exemple, les Portugais auraient répandu la rumeur qu’Aïcha, qu’ils surnommèrent moqueusement la Condesa, était en fait une djinna, un être démoniaque qui apparaissait aux hommes la nuit sous les traits d’une ravissante jeune femme aux pieds de chamelle et que les malheureux qui la croisaient ne revenaient que rarement indemne de sa rencontre.

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Une troisième version enfin, décrit Aïcha comme la cheftaine d’une guérilla résistante. Usant de ses charmes elle envoûtait les soldats portugais et les attirait la nuit dans une embuscade où les attendaient ses complices pour les exécuter. Pour la punir, l’occupant aurait fait tuer son amant et toute sa famille, entraînant la jeune femme dans une démence, qui devint rapidement meurtrière. Le bruit courut que l’héroïne militante se transforma en une vengeresse sanguinaire, errant la nuit dans les bois et s’attaquant à tous les hommes qui croiseraient sa route.

Quelle que soit la véracité des faits, l’histoire de la llorona marocaine ne laisse personne indifférent.

Sa légende perdure au fil des générations et continue d’inspirer plusieurs artistes qui trouvent dans l’histoire d’Aïcha matière féconde pour leurs œuvres.

Très présente dans le folklore musical marocain, elle est souvent citée dans les chants rituels de la confrérie des Hamadha et des Gnawi, qui lui vouent un véritable culte, invoquant son nom dans leurs rhapsodies, comme pour amadouer l’esprit tourmenté de la comtesse.

Jil Jillala, le célèbre groupe marocain des années 70, lui a d’ailleurs consacré une chanson intitulée «Lella Aïcha».

La Condesa est aussi célébrée en littérature et au cinéma. Muse du célèbre auteur Tahar Ben Jelloun dans son roman Harrouda, il n’hésite pas à faire de son héroïne non-conformiste une allégorie de la femme fatale, incarnation des « fantasmes enfantins et symbole de la femme par qui tout est possible ».

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Dans le 7e art, Aïcha apparaît en filigrane pour souligner le mystère, la magie et le surnaturel. Elle joue un rôle central dans les films Elle d’Ibrahim Chakiri (2006) et Kandisha de Jérôme Cohen-Olivar (2010).

Ces différentes expressions artistiques montrent l’attachement à ce personnage à la fois mythique et tabou, qui devint au fil du temps un joyau culturel du patrimoine marocain.

Pour beaucoup, Aïcha Kandicha n’est et ne restera qu’un simple conte pour enfants. Pour d’autres, plus crédules peut être, son histoire est vraie, certains affirmant même l’avoir déjà rencontrée.

Et vous, qu’en pensez-vous? Aïcha a-t-elle réellement existé?

On dit que le temps brise et disperse la réalité, ce qui reste devient mythe et légende… A vous donc d’en juger… Ce qui est certain, c’est que la Condesa continuera, encore bien longtemps, à fasciner petits et grands.

>> Si vous avez raté les épisodes sur les Saints patrons de Casablanca :

Episode 1: Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Sidi Belyout, l’homme aux lions (1/5)

Episode 2: Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Allal Al Kairouani, le protecteur des pêcheurs (2/5)

Episode 3: Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Lalla Taja, mère des orphelins (3/5)

Episode 4: Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Sidi Bousmara, l’homme aux clous (4/5)

Episode 5 : Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca : Sidi Abderrahman, l’homme au luth (5/5)

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