Le 17 janvier, après huit longs mois d’attente, les corps des douze Français qui se trouvaient à bord de l’Airbus d’Egyptair étaient de retour à Roissy. Après leur arrivée, ils avaient subi des prélèvements réalisés par les gendarmes de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). Objectif: déterminer s’ils portaient la trace d’explosifs, comme le revendiquaient les enquêteurs égyptiens. Or selon nos informations, de TNT il n’y a point. La thèse d’une l’explosion en vol due à une bombe déposée à Roissy, avancée par les Égyptiens, est donc exclue.
Le 19 mai dernier, un Airbus A320 d’Egyptair s’écrasait entre la Crète et la côte nord de l’Égypte. Le vol MS804 reliait Paris-Charles-de-Gaulle au Caire avec 66 personnes à bord. L’après-midi de la catastrophe, et alors que l’épave n’était même pas encore localisée, le ministre de l’aviation civile égyptien, Chérif Fathi, n’avait pas hésité à avancer la thèse terroriste. «La possibilité d’un attentat est plus grande que celle d’un problème technique», déclarait-il. Le ministre était un haut dirigeant et actionnaire de la compagnie aérienne nationale avant d’être nommé au gouvernement. Depuis le crash, ce sont les enquêteurs égyptiens qui ont eu la main sur les investigations et ils n’ont pas partagé les informations dont ils disposaient.
Quatre semaines après la catastrophe, l’épave est enfin localisée mais peu de débris sont repêchés. Les boîtes noires sont tellement endommagées que les Égyptiens doivent se résoudre à envoyer les enregistrements à Paris pour les lire. Avant de repartir, ils font effacer le contenu des ordinateurs et des clés USB par les experts français. Officiellement, seule l’Égypte a en sa possession le contenu des boîtes. Le 27 juin, soit plus d’un mois après, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour «homicide involontaire».
Le chantage égyptien
Fin août, une mission dite de conciliation (en réalité d’identification), doit se tenir à l’Institut médico-légal du Caire, mais elle est reportée au dernier moment. Or cet acte judiciaire est nécessaire avant toute restitution. À la fin de l’été, 64 des 66 ADN sont déjà formellement identifiés mais les enquêteurs égyptiens n’en informent pas les familles, qui l’apprennent par la presse. La situation est bloquée, les corps restent au Caire. En coulisses, la France s’affaire pour accélérer les choses. À plusieurs reprises, la juge d’instruction parisienne appelle le parquet général égyptien. Rien n’y fait.
Et le chantage commence. Début septembre, le Caire demande à Paris de signer un document indiquant qu’il y avait des traces d’explosif sur les débris de l’Airbus A320. Les gendarmes de l’IRCGN refusent, faute d’avoir pu examiner les pièces en question. «Les Égyptiens nous font du chantage», nous confiait alors une source proche du dossier. L’enjeu est d’importance pour l’Égypte: seul un acte terroriste aurait pu masquer le mauvais entretien des appareils de la compagnie nationale, actuellement en proie à des difficultés économiques. Sans compter que, en cas d’attentat, Egyptair n’aurait pas à verser aux familles autant d’argent que s’il s’agissait d’un accident. La question est donc autant d’ordre économique que politique. Une source proche de l’enquête confie: «C’est un accident. En face, l’Egypte n’a eu de cesse de mentir».