Coronavirus: en première ligne, les pharmaciens ont l’impression d’être « les oubliés du système »
Publié leCela a commencé avec les masques, aujourd’hui le phénomène continue avec les gels hydroalcooliques, les gants, le doliprane et la vitamine C… Les pharmaciens sont dévalisés par des citoyens paniqués qui stockent à outrance ces produits dans le but de se prémunir du coronavirus. Et eux, comment se protègent-ils?
« C’est maintenant que les gens commencent à prendre conscience du rôle du pharmacien », s’exclame Chama Khalil, pharmacienne dans le quartier de Hay Moulay Rachid, à Casablanca. Depuis le weekend dernier, la professionnelle est débordée. Son activité quotidienne équivaut à celle de quatre jours habituels. « Tout le monde veut de la vitamine C et du doliprane. Une personne m’en a demandé 20 boites. J’explique aux gens que je ne peux pas leur vendre plus de trois boites. Un homme a même essayé de me soudoyer », raconte-t-elle.
La jeune femme tente de sensibiliser les clients à acheter avec parcimonie le paracétamol afin d’en laisser aux personnes qui en ont réellement besoin. « On est pris d’assaut. Les fournisseurs nous envoient qu’une seule boite de doliprane par jour maintenant! Je suis allée en personne chez eux et j’ai bien vu qu’ils travaillent tous les jours jusqu’à 4h du matin. C’est de la folie. On a écoulé le stock d’un mois en une semaine, personne ne s’y attendait », confie Chama Khalil.
Toute la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique est perturbée. « On n’arrivait pas à avoir les commandes de médicaments à temps. Normalement, on les reçoit 1h30 après alors qu’aujourd’hui, c’est 24h après, sans compter la pénurie de doliprane et de paracétamol », déclare Amel (le prénom a été modifié) une pharmacienne à Lissasfa, autre quartier casablancais. Elle suppose que l’Etat a réquisitionné la production auprès des industries pharmaceutiques pour pourvoir les hôpitaux. « Les grossistes sont en panique et se trompent de livraison », renchérit Chama Khalil qui souligne que l’Etat ne fait rien pour aider les pharmaciens à gérer cette crise.
« Aucune aide de l’Etat »
« Nous sommes les oubliés du système, nous n’avons reçu aucune aide de l’Etat. Certains pharmaciens ont installé à leur initiative des guichets en plexiglas ou des bâches transparentes pour se protéger. Nous n’avons même pas de masques pour nous protéger nous-mêmes alors que nous risquons d’être les premiers touchés », s’indigne-t-elle.
Amel a installé un guichet en plexiglas sur son comptoir comme nombre de ses confrères. « On ne met rien à notre disposition, on fait tout nous-mêmes, même les masques, les gants… », témoigne-t-elle. Pour se protéger ainsi que son personnel, la pharmacienne a fabriqué des masques lavables en textile. Elle préfère cette solution plutôt que subir la flambée des prix pratiquée par certains grossistes. « Les grossistes vendent les masques à 22 DH quand on en trouve ».
« Les gens n’ont pas besoin de masques, ni de gants car il faut savoir que sur les gants, le virus survit 9 jours contre 10 minutes sur les mains. Il vaut mieux se laver les mains plutôt que de contaminer toutes les surfaces qu’on touche avec les gants. Même le gel hydroalcoolique, si la personne est chez elle, à quoi cela sert-il d’en acheter? C’est réservé pour les personnes à l’extérieur qui n’ont pas à leur disposition d’eau et de savon », explique-t-elle. Pour avoir des apports en vitamine C, Amel conseille de manger des oranges, ou des kiwis qui concentrent une importante dose.
Outre le guichet en plexiglas, la professionnelle a même imprimé des affiches de prévention avec les différents conseils partagés sur le site du ministère de la Santé. « Il est souhaitable que le ministère de la Santé mette à disposition des pharmacies ce genre d’affiches et des fascicules pour les distribuer aux clients et les sensibiliser par rapport aux mesures de précaution à respecter ».
« Obligés de s’approvisionner auprès du marché noir »
Une troisième pharmacienne souhaitant conserver l’anonymat confie avoir eu recours au marché parallèle pour se fournir en masques. Il s’agit d’un industriel textile qui a converti ses locaux pour produire des masques et répondre à la demande vertigineuse. « On n’a pas le choix, on pense à l’humain d’abord », justifie-t-elle. « Beaucoup de pharmacies ont fermé mais moi je ne fermerai pas, c’est une question de devoir citoyen ».
« Il y a des commerçants clandestins qui font le tour des pharmacies pour proposer des masques et des gels hydroalcooliques. Ils achètent tous les ingrédients pour les fabriquer au lieu de laisser faire les pharmaciens qui se retrouvent ensuite en manque », témoigne-t-elle.
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En effet, les pharmaciens se retrouvent en manque d’approvisionnement d’alcool, indique Mohamed Lahbabi, pharmacien et président de la confédération des syndicats des pharmaciens. « Hier, le ministère a autorisé les pharmaciens à fabriquer des gels hydroalcooliques mais nous avons un sérieux problème d’approvisionnement d’alcool, ingrédient nécessaire à cette fabrication, et on n’en trouve pas du tout », informe-t-il.
« Nous, nous ne disposons pas de moyens de protection nécessaires. Imaginez si un pharmacien est contaminé, le nombre de personnes qu’il peut à son tour contaminer. On exerce sous grande pression. Nous, les pharmaciens, sommes dévoués et nous le resterons quelque soit le niveau de la pandémie, mais il va falloir que le ministère se mobilise pour mettre à disposition des pharmaciens des protections comme les masques FFP2 qu’on ne trouve pas actuellement », énonce Mohamed Lahbabi qui confie également être contraint de s’approvisionner sur le marché noir.
« Nous sommes contraints d’acheter les gants sur le marché noir. Hier, un vendeur clandestin m’a rapporté des masques FFP2 à 100 DH l’unité que je dois changer toutes les 4H », s’insurge-t-il, rappelant l’obligation formulée par l’OMS pour les personnels de santé de porter un masque de protection FFP2.
Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a envoyé une lettre au ministère de la Santé vendredi dernier, lui demandant de mettre à disposition des pharmaciens les moyens nécessaires pour se protéger. « Rien n’est fait jusqu’à aujourd’hui et nous sommes les premiers exposés à la contamination », déplore le président de la confédération des syndicats des pharmaciens qui rappelle que le royaume compte 12.000 pharmacies brassant 1.200.000 personnes par jour.
De son côté, Anouar Yadini, président de l’Association marocaine des professionnels des dispositifs médicaux (AMPDM), assure qu’ « une solution ne tardera pas à être enclenchée, en principe d’ici la fin de la journée » concernant la pénurie de masques. « Ces dernier jours, nous travaillons sur ce problème avec le ministère de la santé et les différentes composantes concernées. Nous ne tarderons pas à prendre une mesure qui va résoudre le problème de l’approvisionnement du marché local », a-t-il garanti.