Comment garder le lien social en temps de confinement?
Publié lePrès d’un milliard d’individus confinés dans le monde depuis l’expansion du coronavirus. Face à cette rupture de la vie sociale quotidienne, des initiatives digitales foisonnent sur la Toile afin de tromper l’isolement.
C’est l’un des nombreux renversements auxquels on assiste dans cette crise épidémique. La consommation excessive d’écrans coupe les liens avec les autres, selon divers psychologues. Ça, c’était avant. Au temps du confinement, portables, tablettes et objets connectés en tout genre deviennent le subterfuge salvateur du lien social anéanti.
Plus de cafés, de restaurants, de visites chez la famille, plus de discussions chaleureuses avec les commerçants du quartier, plus de salles de sport, de bibliothèques, de prières groupées à la mosquée…il a quand même fallu trouver des solutions pour maintenir le contact avec les terriens. « Du jour au lendemain, tout ça est complètement perturbé et il faut s’adapter à un autre mode de vie où le ‘hors-du-foyer’ n’existe plus et il ne reste que ‘dans le foyer’. Au début, il y a eu une grande période d’angoisse, de phobie de ce confinement. Petit à petit, les gens ont commencé à s’adapter, à mettre leur énergie, non pas dans le refus, mais dans l’adaptation au changement », explique la sociologue Soumaya Naamane Guessous.
Le virtuel comme unique lieu de socialisation
Les réseaux sociaux ont été pris d’assaut par les confinés. A l’occasion d’une conférence de presse le 18 mars dernier, Mark Zuckerberg a révélé que le niveau d’utilisation de la messagerie WhatsApp le mois dernier a équivalu aux pics enregistrés au réveillon du nouvel an, sans compter le nombre d’appels passés via cette application et Messenger qui a doublé par rapport à d’habitude.
Outre ces moyens de communication déjà bien connus du grand public, des applications plus spécifiques ont fait surface pour répondre à un véritable besoin social. Détournées par les individus selon leur imagination, elles sont devenues les lieux privilégiés de rencontres en ligne.
« Une fois la situation acceptée, il y a eu un tournant où les gens ont commencé à chercher des solutions pour s’adapter et on a commencé à voir un foisonnement d’innovations. Comment se donner l’impression qu’on continue à vivre hors du foyer, avec son réseau, alors qu’on est emprisonné? C’est ça, le défi. Fort heureusement, il y a toutes ces technologies qui le permettent parce que si ça avait été dans les années 1960/1970, ça aurait été dramatique », analyse Soumaya Naamane Guessous.
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Karaokés, jeux, apéro, séances de sport, débats, dîners…se pratiquent désormais en ligne par des milliers d’internautes via ces applications. Parmi celles-ci, deux consacrées à la visioconférences sur Internet sont sorties du lot ces dernières semaines: Zoom et Houseparty. Créée en 2011 en Californie, la première propose une vidéoconférence gratuite pour 100 participants maximum pendant 40 minutes de communication. Des options payantes permettent d’augmenter le nombre de participants, la durée de temps de communication et d’obtenir des fonctionnalités plus avancées. Elle a été adoptée ces derniers jours par de nombreuses entreprises et professeurs en télétravail.
La seconde, comme son nom l’indique, est plus festive et ludique. Développée l’année dernière, elle permet d’échanger avec jusqu’à huit amis, laissant la possibilité aux amis d’amis d’intégrer la conversation. L’appel démarre avec deux personnes, puis les contacts respectifs de chacune peuvent se joindre à tout moment. La conversation peut rester privée avec choix des invités ou être ouverte à tous.
Tous ces canaux digitaux donnent « cette sensation d’être libres alors que physiquement nous sommes confinés », reprend la sociologue. « Ça diminue l’intensité négative de cet emprisonnement car ça permet à l’esprit de voguer hors des cloitres, d’échanger, de s’ouvrir et de se projeter aussi dans le dé-confinement. Ce qui est certain, c’est que ça crée des liens. Avant, on disait que les rencontres sur Internet ne sont ‘que virtuelles’; aujourd’hui, ce sont des liens réels, on ne banalise plus le virtuel parce que c’est la seule possibilité que nous avons pour continuer à être socialisés ».
Le confinement au service de la créativité digitale
D’autres applications s’avèrent extrêmement sollicitées comme Skype, Microsoft Teams (jusqu’à 10.000 utilisateurs simultanés), FaceTime (jusqu’à 32 utilisateurs), Google Hangouts (25), Google Duo (8), Discord (10), ou encore Signal ou Jitsi, salués pour leur respect des données personnelles. A ce propos, plusieurs de ces outils ont récemment été épinglés par l’opinion internationale pour des questions de sécurité et de confidentialité.
C’est le cas de Zoom qui, au Maroc, a été déconseillé d’utilisation par la Défense nationale, selon un bulletin publié le 3 avril dernier et alertant les usagers sur le risque de subtilisation de leurs informations personnelles. L’application californienne a annoncé le 9 avril dernier posséder désormais une fonction sécurité.
De son côté, Instagram aussi a la cote avec la mode des « lives » (vidéos d’une heure diffusées en direct), phénomène pris d’assaut par les internautes qui se donnent rendez-vous chaque soir pour interagir de diverses façons. Outre les nombreuses personnalités qui y organisent des apéros virtuels géants (Gad Elmaleh, Ary Abittan accumulent plus de 10.000 spectateurs lors de leurs derniers lives), certains ne manquent pas d’imagination et créent des sortes de rendez-vous culturels, des « book club », des concours de chant, des émissions sur divers thèmes (nutrition, santé, beauté…) dans lesquelles ils font intervenir un ou plusieurs invités.
Le journaliste Ouadih Dada a utilisé ce format pour créer une émission intitulée « Confinement vôtre » dans laquelle il reçoit quotidiennement de 22 à 23h « des personnalités et des anonymes qui entreprennent des initiatives positives en cette période trouble ».
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« On a créé des milieux publics où la parole peut être échangée et où il y a ce partage qui va détruire l’isolement. L’imagination, la créativité, ont été très importantes. Chacun a voulu briser la frustration d’être confiné et on peut dire que le défi est relevé grâce à la technologie, l’innovation mais aussi à cette volonté et ce besoin vital de l’être humain d’être en relation avec d’autres humains », poursuit Soumaya Naamane Guessous.
« C’est beaucoup plus compliqué quand on n’a pas internet », poursuit notre interlocutrice, « mais il faut dire que la majorité écrasante des Marocains sont connectés par le biais du smartphone, même dans les milieux ruraux, le budget qu’allouent actuellement les familles les plus précaires pour être connectées est prioritaire par rapport même à l’alimentation ». Et d’ajouter: « c’est vraiment devenu vital, une priorité extraordinaire. Sans ces écrans, le confinement aurait eu beaucoup plus d’impacts au niveau psychologique ».
Quid de l’après confinement?
Allons-nous continuer sur cette voie après le dé-confinement? Toutes ces structures vont-elles perdurer? Pour notre interlocutrice, la réponse est non. « Cela resserre le lien social dans l’immédiat mais ce ne sont que des solutions transitoires, des bouées de sauvetage parce qu’on n’a pas le choix. Du jour au lendemain, dès qu’on sera libéré, on va retourner à nos habitudes parce que matériellement, on n’aura plus ce temps », prévoit-elle. « Il y aura une rupture radicale du même ordre que celle vécue avec le confinement ».
« On a substitué les écrans au contact physique mais lorsque notre vie va se recentrer vers le ‘hors-foyer’, de retour à la maison, nous n’aurons plus le temps de nous connecter et nous privilégierons donc le face-à-face ».
Face à divers discours ambiants qui invitent à « tirer les leçons » de ce confinement au sujet de son rapport à la société, Soumaya Naamane Guessous reste sceptique. « Quand vous travaillez, avez des enfants, faites deux heures de transports quotidiens dans les grandes villes, est-ce que cela se passe toujours en terme de choix? Je trouve ça un petit peu naïf de dire qu’il faut en tirer des leçons. Quand on a la possibilité de faire ce choix, alors oui, il faut tirer des leçons et valoriser les liens humains. C’est certain qu’il faut en tirer des leçons, mais lorsque nous pourrons ressortir, nous allons être très vite remportés par la vague ».