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Au Maghreb, les drames encore invisibles des féminicides
Publié leBrûlées, égorgées ou battues à mort. Les féminicides et les violences domestiques contre les femmes sont de plus en plus médiatisés au Maghreb, mais les mécanismes de protection restent insuffisants.
Selon le collectif « Féminicides Algérie » qui recense les cas depuis 2019, « au moins une femme est assassinée chaque semaine » dans le pays.
La plateforme « Stop féminicides Maroc » a elle comptabilisé au moins 50 féminicides en 2023, contre plus de 30 en 2022, et cinq depuis le début de l’année 2024.
En Tunisie, la situation est tout aussi alarmante: le nombre de féminicides y a quadruplé entre 2018 et 2023, année où 25 cas ont été recensés, selon les ONG Aswaat Nissa et Manara.
Le dernier féminicide connu en Algérie a eu lieu lundi dans le gouvernorat de Khenchela (est) où, selon les médias, un homme âgé de 49 ans a asséné plusieurs coups de couteau à sa femme, 37 ans, avant de l’égorger. Il a été arrêté.
En plein ramadan au printemps 2023, une Algérienne de 23 ans a été tuée par son mari dans la région de Constantine (est), dans une explosion de violence relatée à l’AFP par le frère de la victime.
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« Une demi-heure avant la rupture du jeûne, le mari de ma soeur l’a trouvée en train de se prendre en photo avec son téléphone alors qu’elle faisait frire des boureks. En colère, il a versé de l’huile sur son visage puis l’a égorgée », relate Imad (le prénom a été modifié).
Mariée depuis cinq ans, la jeune femme a laissé trois enfants.
Selon le frère, son meurtrier a été condamné à dix ans de prison seulement car son avocat avait présenté un dossier médical certifiant qu’il souffrait de dépression.
Farida (prénom d’emprunt), 45 ans, a quant à elle survécu à une tentative de strangulation par son mari en Algérie.
« Ma vie conjugale était très malheureuse, avec des coups et des menaces de mort. Une fois, il m’a étranglée jusqu’à ce que je tombe, en utilisant une corde », raconte cette journaliste, mère de quatre enfants, depuis divorcée.
« Le phénomène (des féminicides, NDLR) n’est pas nouveau, seulement il est plus visible avec les réseaux sociaux« , explique à l’AFP Yamina Rahou, sociologue et chercheuse algérienne.
« Obstacles culturels »
« C’est énorme en proportion de la population et un phénomène grave », souligne auprès de l’AFP Karima Brini, présidente de l’association Femme et citoyenneté à propos du nombre des féminicides recensés en Tunisie en 2023.
La dernière tentative de féminicide en date s’est produite le week-end dernier dans la région de Gafsa, dans le sud du pays, où un mari est soupçonné d’avoir conduit sa femme dans un terrain agricole à la suite d’une dispute avant de l’asperger d’essence et mettre le feu, selon des sources judiciaires.
La victime se trouve dans un état grave à l’hôpital, son mari est en fuite.
Malgré l’adoption en 2017 d’une loi très ambitieuse destinée à lutter contre les violences faites aux femmes en Tunisie, son « application n’avance pas au rythme souhaité », estime Mme Brini, déplorant notamment un manque de financements publics pour des centres d’hébergement.
Pour elle, il y a aussi « énormément d’obstacles culturels » en Tunisie: des stéréotypes véhiculés par les manuels scolaires – « la femme à la cuisine, l’homme devant la télé » – et des mentalités à faire évoluer pour que ces violences ne soient plus « culturellement acceptées ».
Le collectif « Féminicides Algérie« , a recensé 19 meurtres de femmes depuis le début de l’année, contre 39 en 2023 et 45 en 2022.
Au moins 13 condamnations à mort, commuées en prison à vie, ont été prononcées depuis 2019 sur la base d’une loi adoptée en 2015 qui punit sévèrement les auteurs.
Pour Mme Rahou, la sociologue algérienne, « l’arsenal du code pénal et le travail des forces de sécurité ne suffisent pas » et il faut « mobiliser tous les moyens de l’Etat, avec un système d’alerte, associant aussi les hommes ».
Elle préconise de « sensibiliser (…) dès le jeune âge à l’éducation égalitaire, à la responsabilité partagée et au respect mutuel dans la cellule familiale« , notamment par le biais des médias publics.
« Sphère privée »
Le Maroc dispose également depuis 2018 d’une loi contre les violences faites aux femmes, critiquée toutefois pour un manque d’efficacité par les associations féministes.
« Les juges ont tendance à penser que ces violences relèvent de la sphère privée donc les peines ne sont pas dissuasives et c’est le coeur du problème », estime Ghizlane Mamouni, avocate.
Camélia Echchihab, fondatrice de « Stop féminicides Maroc » qualifie l’arsenal marocain de « mascarade », appelant à une législation « plus concrète » et à la formation des professionnels pour mieux prendre en charge les victimes.
En 2023, un féminicide avait été largement médiatisé au Maroc, celui d’une femme découpée en morceaux, cachés dans un réfrigérateur.
« Ce cas est emblématique parce qu’il montre qu’on doit arriver à un degré d’horreur pour que les journalistes se saisissent du sujet alors que tous les féminicides sont horribles », estime Mme Echchihab.