Mustapha Sehimi: «Le problème du Sahara ne fait pas partie des préoccupations du peuple algérien»

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Les discussions entre le Maroc, le Front Polisario, l’Algérie et la Mauritanie ont repris ce vendredi 22 mars au Château viticole Le Rosey près de Genève. Qu’attendre de cette deuxième table ronde autour du Sahara, quels seront les scénarios possibles à l’issue de la rencontre? Eléments de réponse avec le politologue et professeur de droit Mustapha Sehimi.

Dans cette interview accordée à H24Info, Mustapha Sehimi, professeur de droit, politologue et avocat au barreau de Casablanca, précise que la première table ronde tenue les 5 et 6 décembre 2018 était une prise de contact avec un exposé des positions des quatre participants. Le choix des mots n’est pas fortuit précise Sehimi, la table ronde n’est pas un cadre de négociation, selon Horst Köhler. L’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU depuis septembre 2017 a qualifié, dans son rapport fin janvier 2019, de positive le climat de ce premier round. Aujourd’hui, il y a nécessité d’aller plus loin. Horst qui avait promis de faire une tournée dans la région à la mi-février, s’est contenté, probablement du fait du climat tendu en Algérie, de rencontrer le 28 février à Paris Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, puis son homologue Abdelkader Messahel à Berlin.

 

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A l’ordre du jour de cette nouvelle rencontre: des mesures de confiance et les aspects régionaux de la situation au Sahara marocain. Mustapha Sehimi rappelle que la position du Maroc est constante, à savoir l’initiative d’autonomie proposé par le royaume depuis le 11 avril 2007 et qualifiée de manière continue par le Conseil de sécurité et les grandes puissances de crédible, sérieuse et réaliste.

 

Espérez-vous une avancée dans ce 2e round sur le Sahara alors que vous étiez plutôt pessimiste la veille de la première table ronde?

Le pessimisme que vous relevez est aujourd’hui conforté. Il y a trois mois, j’avais fait état de mon pessimisme à propos de la position de l’Algérie. Aujourd’hui, du fait de la crise que traverse ce pays, plus personne ne peut décider, d’autant plus que le système algérien est connu pour sa rigidité et son dogmatisme politique et idéologique quand il s’agit de traiter de la question du Sahara. Ce qui est sûr, c’est que le problème du Sahara n’est plus inscrit à l’ordre du jour des préoccupations du peuple algérien, vous l’avez remarqué, pas un slogan ni affiche en faveur des séparatistes. Dans les enjeux de la  crise politique actuelle, seules les questions de politique intérieure sont prioritaires, à savoir le mandat de Bouteflika et comment faire face à la colère de la rue et la mobilisation du peuple.

Entre temps, vous n’avez pas changer de position ?

Non, moi j’essaie d’analyser les faits, c’est encore moins probable que la question du Sahara marocain revienne au premier plan de la diplomatie algérienne. J’ajoute que ce serait mal venu et tout à fait contre-productif pour l’Algérie aujourd’hui, au moment où il y a une crise majeure qui frappe le système qu’on remette sur le devant de la scène la question du Sahara. Sachant que Laamamra qui était d’ailleurs ministre des Affaires étrangères à l’époque connait bien le dossier puisqu’il a pris parti aux négociations de Manhasset en 2007.

Ce changement à la tête de la diplomatie algérienne, n’apporterait-il pas de résultats positifs?

Ni Laamamra ni quelqu’un d’autre ne peut décider du processus de règlement au Sahara.

Oui, mais qui décide réellement?

Il y a un clan présidentiel avec Saïd Bouteflika et son frère Nasser et il y a aussi l’armée, Gaid Salah utilise l’affaire du Sahara comme étant une menace pour la stabilité de l’Algérie. Tout le monde se rappelle que le chef de l’armée s’est rendu récemment au fin fond du Sahara sous prétexte d’une menace extérieure pour exhorter ses troupes.

Une stratégie de manipulation?

Plutôt une stratégie de défaussement… Défaussement des problèmes de l’Algérie sur le voisin considéré comme étant menaçant et belliqueux.

Le clan Bouteflika est à l’agonie en ce moment, peut-on espérer un changement dans la politique algérienne ?

Mon sentiment, c’est que quel que soit l’issue de la crise en Algérie, il ne faut pas s’attendre à court terme à des avancées ou à une inflexion dans la politique algérienne parce que les priorités sont d’ordre intérieures. Dans l’agenda actuel, la question du Sahara est marginale, c’est-à-dire que les négociations vont s’installer dans un processus de continuité et il faudra du temps pour que l’Algérie arrive à une position plus fraternelle.

Alors, quel scénario probable ?

Le scénario le plus probable c’est la continuité, c’est une autoroute fermée sans bretelle et alors pas de sortie dans un avenir prévisible. Il y a un élément nouveau, Lakhdar Ibrahimi, lors d’une tournée à Oujda en compagnie de Youssoufi il y a trois mois, s’est déclaré favorable à une réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc. Son appel à la normalisation est restée sans suite puisque sa marge de manœuvre est très réduite d’autant plus qu’il est promu président de la conférence nationale de transition et par conséquent il ne peut pas se distinguer par des positions très maghrébines puisque l’équation est intérieure.

In ne faut donc pas s’attendre à grand chose de ce 2e round

Oui, il ne faut pas s’attendre à une réelle avancée à l’issue de cette table ronde. Si on obtient un processus de négociation et un ordre du jour plus détaillé sur les modalités des procédures de contacts, à ce moment-là on parlera d’avancée. Le plus embarrassé dans cette histoire est de loin Horst Köhler, il a affaire à un partenaire algérien très affaibli qui n’est pas en mesure de décider. J’ajoute un autre élément, les séparatistes sont davantage fragilisés par la situation en Algérie puisque leur cause est intégrée à un système, à une politique et une diplomatie. Aujourd’hui, les séparatistes n’ont plus de relais ni d’effet levier. La question du Sahara est un élément constitutif du système algérien et du clan Bouteflika. Quoi qu’il advienne ils n’auront plus  le même relais ni les mêmes appuis au sein des dirigeants algériens futurs, les millions de manifestants ne sont pas mobilisés pour la cause séparatiste, ils ont d’autres priorités. D’ailleurs, je le dis toujours, l’Algérie n’a plus de diplomatie à l’international, elle manque de visibilité, elle est absente du Proche-Orient et de toute les régions géostratégiques;  l’Algérie n’a plus comme politique que la question du Sahel avec le Mali, comme pour dire qu’elle est une puissance régionale, qu’elle a son mot à dire. Un deuxième axe concerne la mobilisation de son appareil diplomatique avec les séparatistes contre le Maroc.

Mais je serais agréablement surpris si ce soir, on avait davantage de résultats. Si on arrive à relancer un processus de négociations quand bien même prendra du temps, c’est fondamental. L’histoire du référendum est une histoire obsolète et caduc, l’ONU l’avait confirmé il y a dix ans, il est impraticable. L’option la plus sérieuse, c’est celle d’une régionalisation avancée offerte par le Maroc.

Alors, on risque de tomber dans un nouvel échec comme à l’issue des négociations de Manhasset?

Pas un échec mais un non succès –ce n’est pas pareil. Le plan Horst Köhler se trouve plombé par la crise en Algérie qui est un partenaire très important dans cette affaire. Elle est en même temps le problème et la solution, or la solution ne pourra venir de l’Algérie, aujourd’hui, affaiblie et ne peut même pas décider d’un cinquième mandat.

Maintenant on attend le rapport de Köhler, du Secrétaire Général des Nations-unies António Guterres et du rapport du Conseil de sécurité à la fin avril. Un problème qui pourrait réveiller les chancelleries soit la reconduction ou non du mandat de la MINURSO. Les américains ont fait pression pour que ce mandat ne soit que de 6 mois ça était renouvelé une fois, le sera-t-il une nouvelle fois, ce que nous ne pouvons confirmer aujourd’hui 21 mars 2019.

  

Propos recueillis par Khalid Tegmousse 

 

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