Accompagnement scolaire: les pistes pour améliorer le distanciel (témoignages)

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Un nouveau marché serait-il en train de voir le jour? Celui de l’accompagnement scolaire. Professeurs particuliers, étudiants, parents bénévoles ou professionnels, centres de soutien… Tous les acteurs habituellement du parascolaire semblent aujourd’hui se substituer au scolaire lui-même. Le but ? Contourner bon gré mal gré un distanciel qui peine à se faire accepter par les parents.   

Alors que les autorités ont prolongé de deux semaines l’enseignement à distance dans les établissements déjà concernés par cette mesure, les parents s’organisent et trouvent des alternatives pour permettre à leurs enfants une continuité scolaire plus ou moins qualitative. Divers systèmes d’accompagnement scolaire émergent par-ci par-là en fonction de la demande et/ou de la situation personnelle des «accompagnateurs scolaires» (niveau de leurs propres enfants, espace disponible…). «J’avais chez moi une pièce qui ne servait pas, j’ai donc acheté des petits bureaux pour l’aménager en salle de classe, sans compter le matériel pédagogique nécessaire dont je dispose déjà», raconte Manon*, institutrice de formation, qui reçoit chez elle à Casablanca durant les matinées six enfants (dont le sien) de niveau CE2.

«Je n’assiste pas leurs visioconférences, mais je prends en charge le travail à faire en autonomie: les exercices, la révision des notions, le téléchargement des devoirs sur la plateforme dédiée de leurs établissement… Si certains enfants bloquent, je réexplique, ce qui est impossible pour un enfant seul à la maison sans personne pour l’aider en cas de besoin. Même si les parents sont parfois présents, ils n’ont pas forcément la pédagogie», explique Manon qui souligne que «les écarts de niveau, déjà creusés pendant le confinement, risquent de s’empirer».

«Quand j’ai commencé ce système, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de notions à reprendre, des éléments à corriger. Les élèves livrés à eux-mêmes passent à côté de certains acquis et les instituteurs continuent sur autre chose. Ils doivent se dire qu’ils reprendront tout lors du retour en présentiel mais cela implique une grosse organisation car le programme est assez chargé, surtout en CE2», ajoute-t-elle, précisant que «pour le CP c’est plus compliqué, il faut vraiment être derrière eux».

Les CP, Catherine Sékou a choisi de les mélanger avec les moyennes sections (MS) et les grandes sections (GS). Comme Manon, cette maman d’une petite de quatre ans a formé un groupe de cinq enfants qu’elle reçoit chez elle pour accompagner leur scolarité. «Je trouve très intéressant le mélange des niveaux MS, GS, et CP. L’enfant en MS bénéficie de la qualité de langage de celui en CP; à tous les niveaux ils se tirent vers le haut. En s’observant mutuellement, ils apprennent tout seuls, c’est génial. Ils s’aident les uns les autres, plutôt que ce soit moi l’adulte qui fasse le travail pour eux», s’enthousiasme ce coach des organisations et psychologue qui parvient à jongler entre ses deux activités.

 

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«J’ai eu l’idée de proposer cet accompagnement en voyant ma fille de quatre ans pourtant si sociable se retrouver toute seule, ça m’a fendu le cœur… Je lisais aussi les témoignages de parents sur leurs enfants enfermés entre quatre murs, en train de travailler uniquement avec un écran. Je trouve ça terrible qu’à leur âge la sociabilisation ne se passe qu’à travers l’écran», raconte Catherine qui connaît bien le monde de l’enseignement.

Ex-CPE d’un établissement scolaire français à Casablanca pendant sept ans, et forte de son expertise en formation et relationnel, elle décide alors de proposer un «accompagnement à la scolarité» par demi-journée qui met un point d’honneur au «vivre-ensemble». «Au-delà des travaux que réclame le système scolaire des différents établissements, il y a aujourd’hui énormément de travail et d’accompagnement à faire au niveau du vivre ensemble, des habitudes à reprendre, concernant la communication, la solidarité, l’entraide, la sensibilité, etc.» explique l’experte qui dispose également de tout le matériel pédagogique d’usage (pâte à modeler, crayons, feutres, peinture…).

https://www.facebook.com/chrysalis.sarl/posts/2770091063276416

La disparition de la vie en société qu’inclut l’enseignement à distance inquiète en effet les parents, au-delà de la continuité scolaire à proprement parler. Angéline est mère de deux enfants en bas âge, trois ans et un an et demi. «Ces derniers temps, nos enfants sont hyper-excités le soir, ils s’endorment tard, car ils ne se sont pas assez dépensés la journée avec le confinement», regrette cette responsable de contenu numérique qui avait l’habitude d’inscrire ses enfants à la crèche.

«Je m’organise avec quatre autres mamans amies qui ont des enfants à peu près du même âge que les miens pour, à tour de rôle, les recevoir chez l’une ou l’autre. Cela permet de garder un lien social, qu’ils s’amusent, sinon ils sont tout seuls avec une nounou, ce n’est pas très stimulant. C’est important qu’ils soient avec d’autres petits», témoigne-t-elle.

Accompagnement n’est pas soutien

«Privés de leur école et non pas de scolarité, nos enfants sont profondément impactés», écrit Catherine Sékou sur son site internet. Elle cite un ensemble de conséquences négatives du confinement sur les enfants: perte de repères, manque de cadre, manque de confiance en eux, exacerbation des peurs, hypersensibilité. «Dans ce contexte de covid-19, il est nécessaire selon moi que l’accompagnement scolaire passe par un adulte « expert » de la relation pour pallier les problématiques que les enfants développent», estime-t-elle, «c’est aussi un plus pour les parents à qui cela apporte des éclairages et des conseils pour comprendre ce qui se passe au niveau de leurs petits».

La spécialiste insiste sur le terme «accompagnement». «Je ne donne pas de leçons, j’accompagne sur les travaux à accomplir et demandés par les différentes écoles. On parle plus souvent de « soutien scolaire » mais peut-être que ce métier d’accompagnement est en train de naître avec le contexte actuel», s’interroge notre interlocutrice.

Bouchaib Rouissi, cofondateur de XII School, renchérit dans ce sens: «nous offrons de l’accompagnement et non du soutien scolaire». Bouchaib et son associé Hicham Touhami donnent des cours dans des collèges publics depuis 2006 dans un cadre associatif, forts de leur expérience des classes préparatoires des grandes écoles, des concours et de leur parcours scolaire très exigeant. Leur méthode? «Une approche disruptive pour casser le cours de soutien classique. Un accompagnement global non limité à l’aspect académique couplé d’un suivi en continu. Nous allons vers une conceptualisation de l’enseignement pour construire un socle qui permettra à l’élève de devenir autonome et réussir au-delà de la terminale», explique Rouissi.

 

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Le confinement lié au coronavirus a permis aux deux amis de relancer leur idée de structurer leur projet d’accompagnement scolaire. C’est ainsi qu’est né il y a trois semaines maintenant 12 School, un centre d’accompagnement scolaire à Bouskoura dédié aux collégiens et lycéens. «Actuellement, les cours de soutien doivent se placer dans la continuité de l’école. L’école à elle seule doit être suffisante pour permettre à l’élève de travailler et d’être autonome. L’accompagnement doit être fait de manière complètement décalée en favorisant l’acquisition des soft skills, pour permettre à l’enfant d’être autonome, de lui donner le contrôle et révéler son potentiel», analyse le cofondateur du centre qui travaille avec 12 professeurs issus du monde professionnel, pour la plupart des pilotes de ligne (également des médecins, vétérinaires, avocats, chercheurs en immunologie…).

Initialement, « Ecole 12 » propose trois formules: des cours en petit groupe (six élèves maximum), par niveau et matière, où le programme est fait en fonction de celui de l’élève avec homogénéisation des classes par rapport aux établissements quand cela s’y prête; des cours particuliers; et de l’aide aux devoirs. Une quatrième formule a émergé au regard de la situation d’EAD subie par certains élèves, une formule déjà exploitée par les «homeschoolers», les enfants qui font l’école à la maison.

https://www.facebook.com/XIIschool/posts/285961985907790

«On a une classe de homeschoolers pour laquelle on propose une continuité d’enseignement scolaire avec des demi-journées de cours. Les élèves viennent faire le programme qu’ils ont à distance en étant encadrés par une équipe pédagogique dédiée avec le même suivi et les mêmes exigences que nous offrons à nos élèves des cours du soir. Pendant cette période covid, on a de petits groupes de collégiens ou lycéens qui viennent pour être accompagnés dans le même cadre», informe Bouchaib qui constate que «beaucoup de parents et élèves sont perdus avec le distanciel».

«Les parents sont désorientés», confirme Mohamed Tazi, directeur d’Archimede consulting qui propose notamment des cours de soutien scolaire. «On organise des cours à distance par petits groupes ou individuels. Certains professeurs viennent à domicile quand les parents le sollicitent». Le professionnel constate que beaucoup de parents ne sont pas capables d’accompagner leurs enfants dans l’EAD. «Ceux qui ont les moyens n’ont pas le temps, ceux qui n’ont pas les moyens ont le temps, mais pas les connaissances ni les compétences pour suivre les enfants. Ceux qui peuvent le faire en ont assez aussi», commente-t-il, soulignant le problème de concentration des élèves par rapport à l’ordinateur qui était jusque-là considéré comme objet de jeu et non de travail.

C’est à cause de cette confusion du rôle de l’ordinateur chez l’enfant que Kenza a décidé d’opter cette année pour un enseignement via le CNED (cours par correspondance du programme français) pour ses enfants niveau CM1. «Après une expérience pas très concluante avec le distanciel l’année dernière, on vient d’opter pour le CNED. L’école où j’avais mes enfants dispensait les cours via WhatsApp uniquement, chose qui a fait qu’ils ont vite lâché́ et se sont plutôt intéressés aux jeux, YouTube, et ont presque développé́ une addiction aux écrans», regrette Kenza qui a décidé de suspendre son activité professionnelle provisoirement «pour faire un suivi en bonne et due forme». «L’année dernière, je travaillais à distance et je n’ai pas pu gérer le suivi et le contrôle de ce qu’ils pouvaient regarder. Et de toute manière, j’étais obligée de réexpliquer les audios».

 

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«Les professeurs sont souvent sollicités par message. Ça prend beaucoup de temps. Je ne dirais pas que le soutien scolaire est en train de changer, mais qu’il s’adapte pour une période limitée», reprend le directeur d’Archimede.

A Bookmania, centre de soutien et d’accompagnement scolaire à Casablanca depuis plus de dix ans, on travaillait déjà en petits groupes avant la crise sanitaire. «On organise toujours des cours en présentiel de six personnes au maximum avec le professeur, et on assure aussi des cours à distance», nous explique la secrétaire de l’établissement. «On s’adapte à la demande des parents. Pour cette rentrée, on a notamment une demande de type accompagnement des petits avec les visioconférences de leurs classes respectives. Les professeurs font le suivi avec l’élève, s’assurent qu’il a bien noté et fait ses devoirs, etc. Pour ce genre de demandes, on essaye de regrouper les élèves qui sont dans la même classe et/ou du même établissement, car pour eux c’est comme un cours en petit groupe, et en même temps, c’est moins cher pour les parents qu’un cours individuel».

Côté tarifs, il est certain que tous les parents n’ont pas les moyens de s’octroyer un accompagnement scolaire en plus des frais de scolarité de base. Les centres proposent généralement des forfaits ou un devis en fonction de la demande des clients. Pour les parents reconvertis en instituteurs à la maison, les étudiants (le site Tutorat.house plusieurs fois cités), les assistantes maternelles qui regroupent des enfants…on observe des prix entre 100 et 400 DH la demi-journée. Certains enseignants du réseau AEFE maintiennent un système de cours particuliers à 250/300 DH de l’heure.

Si l’enseignement en distanciel tend à perdurer, le créneau de l’accompagnement scolaire pourrait bien prendre de plus en plus d’ampleur.

*Le prénom a été modifié

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