Mille jours après le déclenchement de la guerre, le Yémen se meurt toujours

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AFP

Le conflit qui a officiellement débuté en mars 2015 avec l’intervention d’une coalition arabe sous commandement saoudien, a fait plus de 10.000 morts et provoqué la pire épidémie de choléra de l’histoire. Retour sur la situation de ce pays et sur les raisons qui ont mené au chaos.

Loin des yeux et des préoccupations de la communauté internationale, la guerre au Yémen entre dans son millième jour. Un cap symbolique qui ne permet pas d’entrevoir une fin programmée de ce conflit qui a plongé ce pays dans la «pire crise humanitaire au monde», selon l’ONU et les humanitaires sur place. Mardi, les rebelles Houtis – proches de l’Iran – ont de nouveau lancé un missile intercepté par l’Arabie saoudite au-dessus de Riyad. Selon les rebelles, ce tir coïncide avec le lancement de l’offensive de la coalition arabe au Yémen le 14 mars 2015 il y a «1000 jours». Le Figaro revient sur les mille jours d’une guerre dévastatrice oubliée des Occidentaux qui risque pourtant de plonger le Moyen-Orient et le monde dans une crise de grande ampleur.

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Une crise humanitaire hors du commun

Le bilan humain est désormais bien supérieur aux 10.000 victimes directes recensées par les Nations unies en janvier dernier, dont la moitié seraient des civils. Le pays est le théâtre de la «pire crise humanitaire au monde» et 8,4 des 30 millions d’habitants sont directement menacés par la famine, d’après l’ONU. En outre, depuis fin avril, plus de 2000 personnes sont décédées du choléra dans la plus grande épidémie jamais enregistrée (près d’un million de cas suspecté depuis mars 2017, selon la Croix-Rouge). Des cas mortels de diphtérie ont également été signalés en raison de la faible couverture par vaccination des enfants de moins de cinq ans. Par ailleurs, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) indique que deux millions et demi d’habitants sont privés d’accès à l’eau potable. Selon l’ONG Acted, 21 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire. Près de dix millions nécessitent une aide d’urgence, dont de nombreux enfants.

Début novembre, l’Arabie saoudite, qui soutient le gouvernement réfugié à Aden, a mis en place un blocus destructeur après un tir de missile en provenance du Yémen et intercepté près de Riyad. «Ce blocus, imposé depuis trois ans et modifié épisodiquement a eu pour effet de dégrader davantage une situation déjà difficile. Le Yémen est structurellement dépendant de l’importation de nourriture et de médicaments», analyse le chercheur CNRS au Ceri/Science Po Laurent Bonnefoy, auteur de Le Yémen: de l’Arabie heureuse à la guerre (Éditions Fayard). Le blocus a depuis été allégé, à la suite de fortes pressions internationales sur le royaume saoudien, mais l’ONU estime que la coalition doit aller plus loin.

Comment est née la guerre au Yémen?

La guerre civile yéménite est un conflit qui oppose depuis septembre 2014 les rebelles Houtis – qui contrôlent Sanaa et le nord avec le soutien présumé de l’Iran – au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, élu en 2012 à la suite de la révolution yéménite et soutenu par l’Arabie saoudite. En mars 2015, ce conflit s’internationalise avec l’intervention d’une coalition arabe sous commandement saoudien destinée à stopper l’avancée des Houtis.

Toutefois, ce conflit n’est pas seulement le résultat d’une rivalité régionale opposant l’Arabie saoudite à l’Iran. «La guerre civile yéménite est un conflit qui s’est avant tout construit autour d’une rivalité entre élites politiques, apparue dans le sillage du “printemps arabe”. Progressivement, à compter de 2014, ces enjeux locaux ont été tordus par des acteurs régionaux pour servir leur grille de lecture simpliste fondée sur l’idée d’une confrontation entre puissances régionales en terrain yéménite», poursuit Laurent Bonnefoy.

Quelles sont les forces en présence sur le terrain?

Originaires du nord du Yémen et accusés d’être appuyés par l’Iran, les Houthis sont issus de la minorité zaïdite, une branche du chiisme qui se dit marginalisée depuis de longues années au Yémen. Le 23 août dernier, la direction des Houtis a qualifié Ali Abdallah Saleh de «traître» pour les avoir présentés comme des «miliciens». Finalement, la crise entre les deux alliés dégénère à Sanaa fin novembre, et de violents combats éclatent entre partisans des deux camps. Le 4 décembre dernier, l’ancien chef de l’État, qui avait osé tendre la main à l’Arabie saoudite, est tué par les Houtis, qui renforcent, par la même occasion, leur emprise sur la capitale.

Face à cette «constellation» de rebelles désormais entièrement dirigée par les Houtis – et accusés d’être appuyé par Téhéran -, se trouvent les forces loyales au président Abdrabbo Mansour Hadi – à majorité sunnite – appuyées par la coalition internationale menée par Riyad, et divers groupes djihadistes, dont la puissante branche d’al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) et l’État islamique. «Le Yémen est depuis longtemps un territoire dans lequel les groupes djihadistes ont une assise territoriale et trouvent un certain appui. Or, la situation de guerre, notamment parce qu’elle brise les institutions étatiques mais aussi parce qu’elle légitime la lecture confessionnelle et violente, renforce les mouvements djihadistes», estime Laurent Bonnefoy.

Le rôle de l’Arabie saoudite et de l’Iran

D’un côté, le royaume saoudien soutient ouvertement les forces sunnites favorables au président élu Abdrabbo Mansour Hadi. L’Arabie saoudite, aidée notamment par les Émirats arabes unis, s’est engagée militairement en soutien au gouvernement issu de la révolution de 2011. Au-delà d’une lutte d’influence dans la région, «l’engagement saoudien peut être lu comme le résultat de la montée en puissance du prince héritier Mohammed Ben Salmane qui a cherché au Yémen à se légitimer dès son accession au rang de ministre de la défense en janvier 2015», explique Laurent Bonnefoy.

De son côté, l’Iran joue un rôle bien plus limité au Yémen. Il ne bombarde pas, ni n’a envoyé d’hommes, mais pousse son rival saoudien à s’enliser dans une guerre à moindre coût pour Téhéran. «Un soutien financier et technique aux houthistes est probable mais ne constitue pas le ferment de la rébellion quand bien même celle-ci s’inscrit de façon évidente dans une symbolique et un univers politique chiite», explique le chercheur CNRS.

Le risque d’une escalade régionale

L’Arabie saoudite a intercepté mardi, au-dessus de Riyad, pour la deuxième fois en deux mois, un missile balistique tiré par les rebelles yéménites Houthis, et mis en cause l’Iran, faisant de nouveau craindre une escalade dans le Golfe. Le 14 décembre, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, avait déclaré que le missile tiré début novembre – et qui avait provoqué un renforcement du blocus de la coalition – a été «fabriqué en Iran». Téhéran avait répliqué que Washington cherchait à masquer son propre rôle dans le conflit yéménite.

Les États-Unis procèdent depuis plusieurs années à des frappes de drones sur le territoire yéménite. Depuis son entrée en fonction, Donald Trump a poursuivi la politique de son prédécesseur en bombardant à une dizaine de reprises les positions d’al-Qaida. Une de ces frappes avait notamment tué une dizaine de civils il y a quelques mois. Un interventionnisme risqué qui pourrait, selon plusieurs experts, pousser de nombreux civils en proie au ressentiment dans les bras des organisations djihadistes

Alors que le tir effectué par les Houthis le 4 novembre ciblait l’aéroport international, celui de mardi visait le palais Yamama, une résidence officielle du roi Salmane, a avancé la chaîne de télévision Al-Masirah, contrôlée par la rébellion yéménite. Le missile de mardi a été tiré «1000 jours» après le lancement de l’offensive de la coalition arabe au Yémen en mars 2015, ont affirmé les Houthis. Mais selon le porte-parole de la coalition arabe, «la poursuite des tirs de missiles balistiques» en direction de l’Arabie saoudite est «la preuve évidente de l’utilisation par les Houthis des ports destinés à accueillir de l’aide pour introduire clandestinement des missiles iraniens au Yémen».

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