Histoire. Essaouira, ce foyer de la culture juive en Afrique du Nord

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La synagogue de Rabbi Haïm Pinto, à Essaouira. Crédits photo: fanaumaroc.canablog.com

Mercredi 15 janvier dernier, la visite du roi Mohammed VI à «Bayt Dakira» pour l’inauguration du lieu après des travaux de restauration s’est accompagnée d’une grande émotion dans la communauté. L’occasion de revenir sur l’histoire fondamentale du judaïsme dans la cité des alizés. 

Ce mercredi 15 janvier, de nombreuses personnalités juives étaient au rendez-vous pour la réouverture de Bayt Dakira, à commencer par André Azoulay, conseiller du souverain et président de l’association Essaouira-Mogador, sa fille Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, ainsi que les dignitaires religieux le Grand rabbin de Casablanca, Joseph Israel, et le Grand rabbin du Maroc, David Pinto.

« Bayt Dakira » est un espace historique, culturel, spirituel et patrimonial de préservation et de valorisation de la mémoire judéo-marocaine. Il abrite la synagogue «Slat Attia», la maison de la mémoire et de l’histoire «Bayt Dakira» et le Centre international de recherches Haïm et Célia Zafrani sur l’histoire des relations entre le Judaïsme et l’Islam.

Et l’histoire du judaïsme à Essaouira dénote d’une valeur particulière. « D’Essaouira, qui compte 18.000 habitants au milieu du XIXe siècle, on pourrait dire, comme pour Salonique dans l’Empire ottoman, qu’elle est au Maroc la ‘ville des juifs' », décrit l’historien français Daniel Rivet dans son Histoire du Maroc (Editions Fayard, 2012).

Les commerçants du sultan

Essaouira a été fondée officiellement en 1765 par le sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah pour doter la capitale Marrakech d’un nouveau port et affaiblir la révolte du Souss par l’asphyxie du port d’Agadir (capitale du Souss). Cette décision d’ordre géopolitique témoigne également de la volonté de faire d’Essaouira la première ville nouvelle planifiée au Maroc, ville peuplée d’immigrés de tous horizons et de toutes confessions. Son fondateur avait ainsi attribué un territoire à chaque « ethnie »: Chbanates, Ahl Agadir, Laalouj, Beni Antar, Bakher et Tujjâr as-sultân (littéralement les commerçants ou négociants du sultan israélites).
Ces derniers étaient pour la plupart des juifs d’origine andalouse mis à l’abris dans la casbah dit « mellah », tandis que leurs autres coreligionnaires (artisans, boutiquiers, colporteurs) habitaient dans la ville basse. Si certains auteurs font remonter l’origine d’un grand nombre de familles juive du mellah d’Essaouira au Souss, dont celles de Rabbi Haïm Pinto et du Rabbin Ed-Dery qui habitaient Agadir, l’étymologie judéo-berbère de Mogador (nom d’Essaouira donné par les Portugais venus au XVIe siècle), selon Omar Lakhdar, situe la présence d’une communauté juive avant la fondation même de la nouvelle cité par le sultan.

La vocation religieuse du mellah d’Essaouira

Dès son origine, le mellah souiri se distingue par une vie culturelle et spirituelle très dense. Il développe sa propre identité sur une vocation religieuse. Étalé sur deux hectares, le mellah comptait au minimum seize synagogues et de nombreuses structures culturelles. La vie quotidienne était rythmée par la pratique religieuse relativement « orthodoxe » dans ce mellah qui comportait la présence exclusive de l’école talmudique, des mikvés (bains rituels) publics et qui accueillait de grands rabbins à renommée spirituelle internationale.

La ville a compté jusqu’à 47 synagogues. C’est dire l’importance de la dimension religieuse dans la communauté juive d’Essaouira qui fut un temps plus importante en nombre que la communauté musulmane. Quand les activités portuaires d’Essaouira étaient à leur âge d’or, aux 18e et 19e siècles, la cité comptait jusqu’à 16.000 juifs parmi 22.000 à 25.000 habitants. Actuellement, les synagogues s’élèvent au nombre de quatre, entretenues par des finances privées.

Aujourd’hui, la cité n’enregistrerait plus qu’un juif natif, Joseph Sebag, propriétaire d’un magasin d’antiquités. L’hebdomadaire londonien The Jewish Chnronicale (The JC) lui a consacré un portrait en 2017. « Sa famille a vécu à Mogador pendant plus de 250 ans alors que sa maman, âgée de 88 ans, peut encore conter les histoires de toutes les maisons juives » de la ville, explique le média.

 

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Après sept ans passés aux États-Unis et au Canada, où il a vendu des pièces d’ordinateur, Sebag a réalisé que sa ville d’origine lui manquait trop et il est revenu. « C’est là que sont mes amis, ma famille et mes racines, et je n’ai jamais regretté de revenir. Je me sens en sécurité au Maroc ». Dans les années 1940/1950, les juifs d’Essaouira sont partis principalement pour se rendre en Israël, en France, aux Etats-Unis ou au Canada. Sebag pense qu’ils auraient du rester, rapporte le média londonien. « Le Maroc a toujours été un foyer accueillant et c’est le seul endroit où je souhaite vivre », affirme l’antiquaire souiri.

Une mémoire préservée et valorisée

Dans son discours du 13 février 2013, le roi Mohammed VI a réitéré sa volonté de préserver et valoriser le patrimoine juif marocain. « C’est précisément cette particularité hébraïque qui constitue aujourd’hui, ainsi que l’a consacré la nouvelle Constitution du Royaume, l’un des affluents séculaires de l’identité nationale, et c’est pourquoi Nous appelons à la restauration de tous les temples juifs dans les différentes villes du Royaume, de sorte qu’ils ne soient plus seulement des lieux de culte, mais également un espace de dialogue culturel et de renouveau des valeurs fondatrices de la civilisation marocaine ».

Ainsi, de nombreux lieux de cultes ou culturels juifs ont été restaurés et continuent d’être restaurés dans comme une autre synagogue d’Essaouira en 2017, «Slat Al Kahal», ou encore celles de Casablanca et de Fès, pour ne citer qu’elles. Aujourd’hui, même si la communauté juive d’Essaouira est dépeuplée, quelques événements annuels la rassemblent des quatre coins du monde comme le Festival des Andalousies Atlantiques (plusieurs centaines de participants), la Hiloula du Saint Rabbi Nessim Ben Nessim ou encore la Hiloula de Rabbi Haim Pinto, une figure emblématique de la ville, mort en 1845.

Ces événements inscrivent l’identité juive de la ville dans l’époque contemporaine, sans la reléguer au rang d’un lointain patrimoine inanimé. Elle rapproche la communauté et les communautés entre elles. Le mercredi 15 janvier dernier, à l’inauguration royale de Bayt Dakira, Rabbi David Pinto, arrière arrière-petit-fils de Rabbi Haim Pinto, déclarait dans un flot d’émotion au micro de nos confrères de 2M: « Le Maroc est le seul pays à mon avis qui accueille les juifs comme chez eux. (…) Le Maroc est un pays béni avec à sa tête le roi Mohammed VI. Mes enfants sont nés en dehors du Maroc mais si vous leur demandez qui ils sont, ils répondront ‘je suis Marocain’…ils parlent l’arabe marocain comme moi…on se sent très Marocains ».

 

Sources:
Histoire du Maroc, Daniel Rivet, Ed. Fayard, 2012.
Mogador, mémoire d’une ville, Lakhdar Omar, Ed. Géographique, 2009.
– « Essaouira, un haut lieu du judaïsme Marocain », article de Maroc-Hebdo du 2 mai 2019.
« Le Mellah d’Essaouira, un quartier marginalisé: Formes et mutations de la revendication sociale », Messous, O. Confluences Méditerranée (2013).

 

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